dimanche 9 juin 2019

9 juin 721 : « Toulouse sauvée »


Après avoir conquis le Royaume wisigoth, les Omeyyades, menés par le gouverneur d’Al-Andalus As-Sam’ ibn Ma-lik Al-’awla-niyy, mettent sur pied une armée afin de franchir les Pyrénées et conquérir la Septimanie et l’Aquitaine. Commencée en 719, la campagne est d’abord couronnée de succès avec la prise de Narbonne. Toulouse est assiégée en 721, et Eudes, le duc d’Aquitaine, part demander l’aide du Royaume franc. Les Austrasiens sont engagés avec Charles Martel dans une guerre contre les Saxons, et c’est en Neustrie et en Bourgogne qu’Eudes trouve des renforts pour son armée. Trois mois plus tard, il revient briser le siège de Toulouse, sur le point de se rendre.


Poème de M. Firmin Jaffus, licencié es lettres de Limoux, primé par l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse en 1842 :

Le sujet de ce Poème est la victoire remportée auprès de Toulouse, en 721, par Eudes duc d’Aquitaine, sur l’émir El-Samah, chef des Arabes. Les historiens assurent que les infidèles perdirent plus de 3oo ooo hommes dans cette immense défaite. Quoique ce nombre soit évidemment exagéré, il est certain que la bataille de Toulouse porta un coup terrible à l’Islamisme ; elle sauva la France et l’Europe chrétienne, comme l’ont prouvé MM. Reynaud et Fauriel, de l’Institut. Les batailles de Tours et de Poitiers, avec lesquelles on l’a souvent confondue, eurent bien moins d’importance. Les Arabes ont gardé le souvenir de ce grand revers, et encore aujourd’hui ils appellent les plaines de Toulouse la chaussée des Martyrs.

« Au nom d’Allah, marchez ! Au nom de son Prophète 
» Allez du monde entier accomplir la conquête. 
» Imposez aux mortels l’esclavage et ma loi. 
» Le passé fut au Christ ; l’avenir est à moi ! »
Ainsi dit Mahomet. – A la voix du sectaire, 
Ismaël retrouva sa haine héréditaire ;


Il jura d’écraser sous ses pas triomphants
Les peuples qu’Abraham adopta pour enfants.
Il s’écria « Mon bras sur Isaac se lève;
» Et quel Ange oserait faire tomber mon glaive? »
Des rochers de l’Atlas aux rives de l’Indus,
Les hommes gémissaient égorgés ou vendus.
Sur l’Afrique et l’Asie, en tressaillant de joie,
L’Islamisme planait et déchirait sa proie.
Aux champs Ibériens ses pieds, baignés de sang,
Apportèrent, un jour, la foudre et le croissant.
Superbe et dédaignant ces races enchaînées,
Bientôt son vol hardi franchit les Pyrénées.
Il jeta sur la Gaule un regard souverain;
Et, pour l’étreindre, ouvrit ses deux serres d’airain.
Puis, il prit son essor. – Ses ailes étendues,
Au bruit de la tempête allaient fendant les nues.
Il lançait, en passant, d’homicides éclairs :
Des cris de désespoir le suivaient dans les airs.
Il s’avançait vainqueur….. Sa prunelle jalouse
Cherchait à l’horizon l’héroïque Toulouse…
Il la vit; et soudain, vers la grande cité
Le vautour abattit son vol précipité.


II.

La nuit ! partout la nuit ! – Cent peuplades barbares
Que vomirent du Nord les régions avares,
De l’empire latin s’arrachaient les lambeaux.
Et la terre était triste, et le ciel était sombre :
Mais, parmi les débris quelques prêtres dans l’ombre
Allumaient de rares flambeaux.

Le Goth avec le Franc, aux deux bords de la Loire,
Se partageaient la Gaule et des combats sans gloire
Ne souillaient plus les eaux du fleuve ensanglanté.
Là, périssait des rois l’autorité lointaine;
Ici le Duc puissant de la fière Aquitaine
Régnait, soumis, mais indompté.


Aux antiques cités de la Septimanie
Rome, en mourant légua son immortel génie;
Les arts vivaient encore abrités par sa loi.
Toulouse, du passé glorieuse héritière,
Parmi ses nobles sœurs levant sa tête altière
Veillait sur l’Europe et la Foi.


Oui, comme cet Archange, aux premiers jours du monde,
Posant un pied vainqueur sur ce reptile immonde
Qui lançait contre Dieu son impuissant venin;
Elle vit, sans pâlir, l’Islamisme et sa rage…
Pour triompher du monstre, elle avait son courage
Et le tombeau de Saturnin.


Son peuple généreux qu’un peuple impie assiège,
Repoussa par trois fois la fureur sacrilège
Des Arabes sapant ses remparts crénelés;
Trois fois, il écrasa leurs épaisses cohortes…
Cependant, le bélier heurtait du front les portes
Et frappait les murs ébranlés.

Ses fils, bravant les dards, les torches enflammées,
Répétaient : « Saint, saint, saint est le Dieu des armées !
» Immense est sa justice, immense est son pardon.
» Béni soit le Seigneur et celui qu’il envoie »
Lorsque du haut des tours tomba ce cri de joie :
« Frères, voici venir Eudon ! »


III.

Nom sacré, trop longtemps oublié par l’histoire,
Eudon je viens t’offrir un hymne expiatoire.
Duc d’Aquitaine, en vain je promène mes yeux
Dans ce temple immortel peuplé de nos aïeux;
En vain pour t’adresser mon poétique hommage,
A côté de Raymond j’ai cherché ton image.
Ta gloire que la France a cessé de bénir,
De l’Arabe au désert remplit le souvenir.
0 vous qui m’écoutez, dans le passé moins sombre,
De l’aïeul des Croisés saluez la grande ombre !
Regardez : il accourt. – Ses nombreux bataillons
Font voler la poussière en obscurs tourbillons.
Le Vascon et le Franc, le Goth et le Cantabre,
Dans leurs mains la framée ou la hache, ou le sabre,
Ceux-ci bardés de fer, ceux-là vêtus de peaux,
Avec des Saints Gaulois tracés sur leurs drapeaux,
Chantent, par les chemins d’une voix éclatante,
Tes cantiques pieux, Eglise militante !
Et Toulouse applaudit. – On vit alors frémir
El-Samah, des Croyants le fanatique Emir.

Hardi propagateur de la loi du Prophète,
La tente est son palais la victoire est sa fête.
D’un Calife Ommiade arborant l’étendard,
Dans la Gaule il cherchait les traces de César.
Il traînait après lui ces hordes inconnues
Qui parcourent d’Ammon les solitudes nues;
Les fils de l’Yémen, les tribus du Delta,
Les sauvages Berbers que l’Atlas enfanta,
Les Maures basanés, les farouches Numides,
Brigands altérés d’or, tigres de sang avides,
Poussés vers l’Occident par un instinct fatal.
Ils marchaient entourés du faste oriental.
Ceints de turbans soyeux, d’écharpes diaprées,
Les perles émaillaient leurs tuniques pourprées.
L’ivoire avec l’argent les saphirs, les rubis,
Ornaient leurs traits d’acier que Damas a fourbis.
Aux longs hennissements des rapides cavales
Ils mêlaient leurs clameurs et la voix des cymbales.
El-Samah leur montrant du doigt les ennemis :
« Voici, dit-il, le jour qu’Allah nous a promis.
» Cette plaine sera le glorieux théâtre
» Où lutteront l’Asie et l’Europe idolâtre.
» Disciples du Coran, soldats, que craignez-vous ?
» Mahomet nous contemple, et Dieu marche avec nous ! »


Cependant, rassemblés à l’ombre du Prétoire,
Les Chrétiens adoraient l’Hostie expiatoire.
Vingt larges boucliers s’élevaient en autel.
Là, mourait des humains le Sauveur immortel.
Ces guerriers, dépouillant leur rudesse natale,
Ecoutaient, recueillis, la voix sacerdotale;

Et, frappant leur poitrine, humiliant leurs fronts,
Juraient, Dieu méconnu, de venger tes affronts.
Leurs belliqueuses mains rompaient ce pain mystique,
Du suprême voyage auguste viatique;
Puis, le cœur exalté d’un sublime transport,
Ils s’écrièrent tous : La victoire ou la mort !


« La mort est un destin plus beau que la victoire !
» La mort pour les martyrs c’est la vie et la gloire !
» Mes frères, dit Eudon, oh ! regardez les cieux;
» La splendeur éternelle apparaît à mes yeux !
» Généreux Aquitains, que vos armes jalouses
» Délivrent vos foyers, vos mères, vos épouses.
» Protégez vos aïeux dans la paix du tombeau.
» De la foi vacillante abritez le flambeau.
» Brisez ce peuple impur, comme un vase fragile.
» Soldats du Dieu vivant, défendez l’Evangile;
» Et, si le sang chrétien doit cimenter ses lois,
» Mourez !.. pour triompher, Dieu mourut sur la croix ! »


IV.

Aux armes ! la charge sonne;
Le croissant brille dans l’air;
Le ciel orageux, qui tonne,
Pour signal lance un éclair.
Le sol mugit d’épouvante
Sous une masse vivante,
Qui se déroule mouvante
Comme les flots sur la mer.


Voyez ces coursiers rapides,
Dans leurs belliqueux transports,
Sous leurs cavaliers Numides
Voler sans frein et sans mors.
Pour eux la guerre a des charmes;
Attentifs au cri d’alarmes,
Ils courent, bravant les armes
Et du pied broyant les morts.


El-Samah, de l’Arabie
Conduit les fils aux combats.
Leur foule marche, suivie
Et de chars et de soldats.
Leur avide cimeterre
Dans le sang se désaltère.
Cent cadavres sur la terre
Marquent chacun de leurs pas.


Quelques prêtres alors, sur les places publiques,
Promenaient des Martyrs les augustes reliques,
Invoquant de la foi ces hardis confesseurs.
Et nos soldats voyaient sur les tours de la ville,
Levant les mains au ciel, poussant un cri débile
Leurs mères, leurs enfants, leurs femmes et leurs sœurs…


Eudon s’élance; il entraîne,
Pareils à d’affreux torrents,
Les guerriers de l’Aquitaine,
Les Cantabres et les Francs.

La hache avec la massue
Mutile, terrasse, tue.
Chaque cohorte rompue,
A la mort ouvre ses rangs.


Vainement l’Emir rallie
Ses soldats épouvantés.
L’ennemi chancelle, plie,
Et fuit ces lieux détestés.
Il nous portait l’esclavage :
Qu’il périsse ! – Plein de rage,
Eudon sème le carnage
Dans les champs ensanglantés.


« Allah seul est dieu ! Qu’il daigne
» Nous sauver en ce revers ! »
– « Le Christ est vivant ! Il règne !
» Il a vaincu les enfers ! » –
Roulez, hymnes triomphales,
Cris plaintifs, voix sépulcrales,
Des rives occidentales
Jusqu’aux sables des déserts !


V.

Réprouvé par le ciel, trahi par la victoire,
L’Emir voulut du moins expirer dans la gloire
Et devant Mahomet paraitre sans remord.
Enivrant sa douleur et son heure dernière,
Il verse à flots le sang, et jette sa bannière,
Pour linceul sur son lit de mort.


Et voilà que les vents au loin chassaient l’orage;
Le soleil se couchait dans un ciel sans nuage;
Soudain l’astre plus pâle éteignit son flambeau.
Un grand cri s’éleva de ces plaines funèbres :
L’Islamisme déchu se voilait de ténèbres
Et descendait dans le tombeau


L’Arabie a pleuré, mille ans, cette défaite
Où la Gaule immola les enfants du Prophète,
Et vit de l’Orient l’orgueil s’anéantir.
Et, comme un faible écho de ces regrets antiques,
Le voyageur entend, aux champs asiatiques,
Une plainte encor retentir…..


O, du monde chrétien le bouclier fidèle,
Toulouse, de l’honneur puissante citadelle,
Vingt fois tu combattis pour ton Dieu, pour ton roi !
S’il fallait repousser les hordes étrangères,
Tu dirais à tes fils, comme Eudon à nos pères :
« Sauvez la patrie et la foi ! »


Source : Recueil de l’Académie des jeux floraux (Toulouse), 1842