Ce que nous appelons « construction européenne » n’a jamais eu
l’Europe géographique comme départ ni comme finalité. Il s’agissait déjà
à la fin du dix-neuvième siècle – à une époque où la France et le
Royaume-Uni dominaient presque le monde entier grâce à leurs immenses
empires respectifs – d’unifier politiquement et économiquement la
planète. A l’origine, il y a John Ruskin (1819-1900), fils de bonne
famille britannique, artiste et voyageur qui finira professeur d’art à
Oxford et qui inspirera George Bernard Shaw (1856-1950) et Cecil Rhodes
(1853-1902). Rhodes, fondateur de la Rhodésie, magnat du diamant et
Premier Ministre de la colonie sud-africaine du Cap (1890-1896),
créateur des bourses Rhodes destinées aux futurs
étudiants méritants d’Oxford, était un impérialiste fanatique ; Shaw, un
écrivain bohème devenu socialiste sous l’influence de Karl Marx. Autour
de Cecil Rhodes va se constituer un noyau dur d’impérialistes
britanniques regroupant notamment le journaliste William Thomas Stead
(1849-1912), l’historien Reginald Brett (1852-1930, futur Lord Esher),
le futur Premier Ministre du Royaume-Uni (1902-1905) Lord Arthur James
Balfour (1848-1930), l’administrateur colonial Harry Johnston
(1858-1927), Lord Albert Grey (1851-1917), gouverneur général du Canada
(1904-1911) et Lord Nathan Mayer Rothschild (1840-1915), banquier
international.
En 1884 est fondée la Société fabienne – qui existe
encore aujourd’hui – carrefour à la fois de l’impérialisme britannique,
du socialisme réformateur et du mondialisme (prônant un gouvernement
mondial). Son principal créateur, le spiritualiste socialiste Frank
Podmore (1856-1910), et les autres membres fondateurs, se verront très
rapidement relégués au second-plan par des nouveaux arrivants qui vont
s’approprier la Société fabienne : Bernard Shaw,
l’économiste Sidney Webb (1859-1947, futur Lord Passfield et secrétaire
d’Etat de 1929 à 1931), sa future épouse l’intellectuelle Beatrice
Potter (1858-1943) et le professeur de science politique Graham Wallas
(1858-1932). D’autres personnalités célèbres rejoindront bientôt la Société fabienne :
l’écrivain Herbert George Wells (1866-1946), la militante socialiste
Annie Besant (1847-1933), qui à partir de 1907 reprendra la direction de
la Société théosophique (qu’elle a connue par l’intermédiaire de William Stead, rédacteur-en-chef de la Pall Mall Gazette dans
laquelle elle écrivait) de l’occultiste Helena Blavatsky. Podmore eut
l’idée du nom de cette organisation en référence au consul et dictateur
romain Fabius Cunctator (dit « Le temporisateur ») qui utilisa
victorieusement la guerre d’usure contre le général carthaginois
Hannibal : la Société fabienne prône une méthode
progressive et institutionnelle de changement politique, un travail à
long terme d’infiltration et de pénétration du Système, plutôt que la
révolution brutale. C’est pourquoi le blason de l’organisation
représentera un loup portant une peau d’agneau. La Société fabienne cherchera
à fusionner le capitalisme avec le planisme et le technocratisme
socialistes (soit le pire de la droite avec le pire de la gauche) pour
aboutir à un gouvernement mondial centralisé paternaliste et communiste.
Cette doctrine deviendra le travaillisme au Royaume-Uni. Pour former
les futures élites mondiales, notamment dans le domaine universitaire et
journalistique, Graham Wallas, Bernard Shaw et les époux Webb,
profitant de l’élection de Sidney Webb au London County Council en charge des questions d’éducation depuis 1891, vont créer en 1895 la London School of Economics (LSE),
université spécialisée en politique et en économie qui aujourd’hui
encore sert de principal relai aux idées mondialistes. Le premier
directeur de la LSE sera William Hewins (1865-1931),
qui travaillera ensuite pour le parlementaire et futur secrétaire d’Etat
(1910-1914) Joseph Chamberlain (1836-1914). Le All Souls College d’Oxford sera également un établissement dédié aux vues mondialistes.
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